Chaque décision que vous prenez a un prix. Quel est celui de votre bonne santé ?
- vlad

- 13 août
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 14 août

Travailler tout au long de l'année sur des sites de parapente parmi les plus fréquentés, affûte mon prisme sur la nature humaine appliquée au parapente. Je vois défiler des centaines de pilotes, chacun avec son histoire et son approche du vol. Et c'est en observant ce ballet quotidien que l'on comprend une vérité simple : le plus grand danger n'est pas toujours dans les airs, mais sur le décollage, dans la tête des pilotes. Ce texte n'a pas la prétention de détenir la science infuse, mais d'être le fruit de l'observation d'un passionné parmi tant d'autres. L'idée est de partager humblement quelques réflexions qui, je l'espère, pourront être utiles à la communauté.
L'éléphant dans la pièce : le facteur humain, le chaînon manquant de la formation en parapente ?
La formation en parapente est un rite de passage fascinant. On y apprend l'aérologie, la mécanique de vol, les normes de sécurité et les techniques de pilotage. Les moniteurs, véritables experts, transmettent avec passion ces connaissances cruciales. Pourtant, un aspect fondamental est souvent laissé de côté, faute de temps : le facteur humain.
L'angle mort de la formation : notre propre cerveau
Le problème, c'est que les accidents de parapente sont rarement causés par une simple défaillance matérielle. Le plus souvent, ils sont le résultat d'une série de mauvaises décisions, d'une surestimation de ses capacités, d'une mauvaise gestion du stress, de la peur ou de la pression sociale. C'est là qu'intervient le facteur humain :
La gestion de la peur : Comment rester lucide face à une turbulence inattendue ?
La prise de décision : Quand dire "non" et rester au sol, même si les amis partent voler ?
La confiance : Comment éviter de tomber dans la surconfiance après quelques vols réussis ?
L'effet de groupe : Comment ne pas se laisser influencer par la pression des pairs ?
Ces aspects psychologiques sont tout aussi vitaux que la maîtrise des commandes. C'est le logiciel qui fait fonctionner le matériel.
Le rôle du pilote : devenir son propre mentor psychologique
Puisque les écoles n'ont pas toujours le temps d'aborder ces sujets en profondeur, il incombe à chaque pilote de prendre en charge sa propre formation psychologique. Cela passe par :
L'introspection : Se poser des questions sur son état d'esprit avant chaque vol.
Le débriefing : Analyser ses vols, pas seulement techniquement, mais aussi émotionnellement.
L'apprentissage continu : Lire, écouter et échanger avec d'autres pilotes sur ces sujets.
Un bon pilote se maîtrise lui-même et apprend constamment.
De la dopamine facile à l'oubli des fondamentaux
Le parapente est une discipline qui offre des sensations de liberté incroyables, une véritable "dopamine facile" qui peut rendre accro dès le premier vol. Malheureusement, cette quête de sensations immédiates pousse certains, à négliger les fondamentaux. On observe un manque de connaissances criant : des pilotes qui ignorent ce qu'est un protocole de sécurité, qui ne savent pas lire une météo de manière fine, et qui n'ont qu'une vague idée de leur propre plan de vol. La fébrilité est palpable ; l'envie de décoller est si forte qu'ils oublient tous leurs acquis (pour peu qu'ils en aillent) et les conséquences potentiellement irréversibles.
La pression du groupe et l'influence des écrans

Le risque s'est également déplacé dans l'ère numérique. L'influence des groupes WhatsApp est selon moi un fléau : la simple évocation d'une "bonne journée" par un pilote à l'autre bout de la vallée peut créer une pression de groupe invisible. On cède à l'envie, on oublie d'analyser par soi-même. De même, les vidéos YouTube, aussi spectaculaires soient-elles, peuvent nourrir l'ego et encourager des analyses de la météo approximatives et biaisées.
Même les plus experts ne sont pas à l'abri. Sous la pression de décoller devant un groupe ou de ne pas "rater la journée", il arrive qu'ils perdent momentanément leur lucidité, poussant leurs limites au-delà de la raison.
La métaphore du canard s'applique aussi au monde du parapente tel qu'il est souvent dépeint sur YouTube.
L'image et la réalité
Sur YouTube, le parapente est souvent présenté sous son meilleur jour. Les vidéos montrent des pilotes qui semblent glisser dans les airs avec une facilité déconcertante, profitant de paysages à couper le souffle, et réussissant des atterrissages parfaits. C'est l'image du canard qui flotte sereinement à la surface de l'eau.
Mais ce que ces vidéos ne montrent pas toujours, c'est le travail invisible, la part du canard qui "pédale sous l'eau" et qui est essentielle à cette apparente facilité. C'est la réalité que l'on observe sur les sites de vol les plus fréquentés :
L'analyse météo invisible : Le pilote expérimenté ne se contente pas de regarder le ciel. Il a passé du temps à analyser differents modèles et à échanger avec d'autres pilotes de confiance. C'est le "pédalage" qui se fait en coulisses et qui assure la sécurité du vol.
La gestion des risques : Le pilote qui décolle avec fluidité a mentalement balayé tous les scénarios possibles. Il a vérifié son matériel méticuleusement, mis en place sa balise de géolocalisation et établi un protocole de sécurité.
L'expérience cachée : La maîtrise apparente n'est pas innée. Elle est le fruit d'heures de pratique, de stages, de cours, et de moments d'humilité où l'on a dû poser sa voile au sol et renoncer à un vol. C'est la somme de ces expériences qui permet au pilote de faire face à l'imprévu avec sérénité.
La pression de la "dopamine facile" : Le paradoxe est que ces vidéos, en ne montrant que le meilleur, peuvent inciter des pilotes moins aguerris et sans pré-requis sérieux à ignorer le travail sous l'eau. Ils voient la facilité en surface et se lancent, oubliant qu'ils n'ont aucune chance mais que sur un malentendu ça pourrait éventuellement le faire.
En résumé, YouTube nous montre le résultat final, la beauté du vol, mais il occulte trop souvent l'effort, la préparation, l'analyse et l'humilité qui sont les véritables garants de la sécurité en parapente.
La négligence, premier pas vers l'accident

La routine est selon moi gage de sécurité car les même gestes répétés encore et encore filtre un oubli éventuel mais c'est aussi l'ennemie de la vigilance. Chez certains pilotes on voit des gestes qui trahissent une perte de concentration dangereuse :
L'absence de pré-vol ou une prevol bâclée
Le décollage inconscient : Celui qui s'élance en regardant à l'opposé, sans avertir ces voisins, sans un minimum de maitrise...
Le manque de respect : Le pilote qui dérange ceux qui se préparent, ou qui ne prend pas la peine de se géolocaliser en temps réel, oubliant qu'en cas de problème, les secours ne sauront pas où le chercher. Le pilote qui ne tourne pas dans le sens de la majorité, qui ne respecte ni bon sens, ni priorité, qui n'ouvre pas légèrement son virage pour permettre à un autre d'entrer dans le thermique, le tronçonneur de grappes, celui qui tourne à gauche en regardant à droite, le biplaceur ou le gunneur qui s'imagine être prioritaire, etc... la liste est infinie
Ces petites négligences s'additionnent. Elles transforment un sport magnifique en une activité à haut risque, où l'accident n'est plus qu'une question de temps.
Le parapente, c'est aussi un sport de gestion du risque. Ce n'est pas le risque en soi qui est l'ennemi, mais notre incapacité à le gérer. La bonne nouvelle, c'est qu'il existe une solution simple et gratuite : avoir une stratégie personnelle solide, un cadre de sécurité que l'on s'est fixé et auquel on fait confiance.
Quand la lucidité remplace l'euphorie, et quand l'ego laisse place à la clairvoyance, la sécurité n'est plus un protocole, mais un réflexe. C'est à ce moment-là que l'on est vraiment prêt à voler.
Et vous, quelle est votre stratégie et est-elle en constante amélioration ?
Le facteur humain en parapente : aussi une question de personnalité

En parapente, où la sécurité dépend en grande partie de nos choix, la personnalité du pilote est un facteur crucial. Les études sur l'accidentalité le confirment : les pilotes qui se montrent plus impulsifs, nerveux ou enclins à la prise de risque sont statistiquement plus exposés aux accidents. L'impulsivité peut se traduire par le décollage dans des conditions aérologiques marginales, le non-respect des procédures de sécurité ou l'exécution de manœuvres au-delà de ses compétences. Le tempérament nerveux peut quant à lui mener à une mauvaise gestion du stress, à la panique face à l'imprévu et à des décisions hâtives. À l'inverse, un pilote au tempérament calme et réfléchi est un atout majeur pour la sécurité. Il sait évaluer objectivement les risques, renoncer à un vol si les conditions sont mauvaises et, en cas d'imprévu, sa capacité à rester serein lui permet de prendre les bonnes décisions. En somme, la plus grande assurance en vol n'est pas votre matériel, mais bien votre capacité à faire preuve d'objectivité et de maîtrise de soi.
Des gestes simples pour une sécurité renforcée
Face aux risques et aux automatismes qui peuvent devenir dangereux, la meilleure réponse réside dans la mise en place de rituels simples et concrets. Ces habitudes, bien que parfois considérées comme superflues par certains, ont démontré leur efficacité pour sauver des vies et prévenir les accidents même et surtout dans le milieu professionnel du biplace.
Réaliser sa prévol et annoncer son décollage à voix haute : C'est un principe de base de l'aéronautique. Le fait d'articuler à haute voix les étapes de votre préparation et d'annoncer votre décollage force votre cerveau à être attentif et à ne rien oublier. C'est un acte de confirmation qui rompt avec la routine silencieuse et dangereuse.
Le double-check des actions importantes : Ne vous fiez jamais à un seul contrôle. Avant de décoller, vérifiez une seconde fois vos attaches, votre sellette et l'état de votre voile. Ce double-contrôle ne prend que quelques secondes et peut éviter des erreurs graves.
Se parler à voix haute : Si vous hésitez sur une décision (décoller, rester en l'air, aller chercher une ascendance), verbalisez votre réflexion. Entendre sa propre voix peut vous aider à confirmer une bonne décision et à balayer les doutes, ou au contraire, à vous faire réaliser que le risque est trop grand.
Ne jamais voler seul et être localisable : Le parapente est un sport qui se pratique avec d'autres. Ayez toujours un binôme ou un ami qui sait où vous êtes. Assurez-vous d'avoir un système de géolocalisation en temps réel (via une application ou un tracker) pour que vos proches puissent vous suivre à tout moment. En cas de problème, c'est la première information qui permettra aux secours d'intervenir.
Garder de la marge et ne pas tout ajouter d'un coup : Une règle d'or pour progresser en sécurité est de ne jamais ajouter plus d'un nouvel élément à la fois. Si vous découvrez un site, ne le faites pas par vent fort. Si vous volez dans de nouvelles conditions, choisissez un site que vous connaissez parfaitement. Gardez toujours une marge de manœuvre.
Voler pour soi, pas pour l'ego : Le plaisir du vol doit toujours être votre seule motivation. Les performances, les kilomètres parcourus ou la hauteur atteinte ne sont que des bonus. Soyez réaliste et lucide sur vos compétences. C'est en volant pour vous, sans céder à la pression du groupe, que votre niveau progressera naturellement et en toute sécurité.
En fin de compte, l'air n'est pas un ennemi ; le plus grand risque, c'est toi-même. La sécurité en parapente ne se résume pas à un équipement irréprochable ou à la maîtrise technique, mais à une discipline constante, une humilité face aux éléments et une lucidité sans faille. En brisant la routine, en écoutant notre petite voix intérieure qui nous dicte la prudence et en privilégiant le plaisir au détriment de la performance, nous ne faisons pas qu'éviter le "carton", nous honorons l'essence même de ce sport extraordinaire.
Alors, la prochaine fois que vous serez sur le décollage, avant de vous lancer, posez-vous cette question simple : "Ai-je fait tout ce qui était en mon pouvoir pour me garantir un vol sûr ?"
Tout comme votre sécurité, votre réponse vous appartient...
Bien entendu, cet article ne serait pas complet sans rendre hommage à l'immense majorité des pilotes qui, loin des raccourcis dangereux, font honneur à notre passion. Ce sont eux qui, par leur dévouement, leur rigueur et leur sens du partage, font avancer le sport et garantissent sa pérennité. Ces pilotes qui consacrent bien plus que le nécessaire à leur passion, sont les véritables gardiens de la sécurité dans notre communauté. Leurs actions discrètes, leur entraide sur les sites de vol sont la preuve que la culture de la sécurité est bel et bien vivante, et qu'elle est l'essence même de ce qui nous unit dans les airs.






Excellent, merci pour cette verbalisation. A faire lire à tous les (nouveaux) pilotes sans modération ! Pour la "stratégie personnelle", je suggère des idées : travailler sa progression (passeport de vol libre, cycles d'apprentissage, stages, exercices de gonflage), remplir sa SIGR, enrichir ses connaissances météo/facteurs humains/pilotage/..., préparer ses vols/analyser des traces, débriefer ses vols, se donner des objectifs régulièrement, écouter les expérimentés, ...